Institut des Etudes Politiques - Paris, le 4 mai 2005
Title: Restauration de la Paix Libanaise
Chers amis,
Je me réjouis d'être parmi vous ce soir, dans cet endroit qui m'est familier pour réfléchir ensemble sur un thème qui nous est cher : " La Restauration de la Paix libanaise ". Celle-ci ne peut se réaliser que par la réconciliation entre les hommes et la reconstruction des institutions nationales.
Après un aperçu historique sur le début de la guerre du Liban et un bref constat de l'état des lieux, je parlerai surtout des perspectives et projets d'avenir ainsi que du rôle de la jeunesse que vous représentez dans cette salle dans l'édification du nouveau Liban qui sera en fait le votre.
Certains avancent le 13 avril 1975 comme date du déclenchement de la guerre du Liban. Ceci est faux ! En fait, c'est au printemps 1969 que les palestiniens s'étaient rebellés contre l'autorité de l'Etat libanais et avaient déclenchés des attaques meurtrières contre des éléments de l'armée libanaise. L'OLP cherchait à installer chez nous des bases permanentes à partir desquelles elle pouvait attaquer Israël. Elle cherchait en quelque sorte la HANOISATION du Liban.
A la suite de ces affrontements, des accords iniques nous ont été imposés comme prix d'une hypothétique paix interne, dont notamment l'accord du Caire conclu en novembre 1969 entre l'Etat libanais et l'Olp sous l'égide du Président égyptien de l'époque, Jamal Abdel Nasser. Cet accord accordait à l'OLP, une quasi souveraineté chez nous. Depuis lors, deux souverainetés, donc deux autorités, aux logiques contradictoires : l'une institutionnelle et l'autre révolutionnaire, devaient coexister ou plutôt s'affronter en territoire libanais. On imagine les conséquences ! Notre quotidien fut rythmé par les guerres, le chaos, la désolation et surtout les drames humains en termes de morts, d'enlèvements, de destructions et de vexations de toutes sortes. Le tout avec la complicité tacite de la communauté internationale motivée par le pire concept du pragmatisme et de la Realpolitik.
Depuis lors, l'implication de l'Olp dans les affaires libanaises a entraîné d'autres forces à leur emboîter le pas chez nous sous divers prétextes.
Le parti Kataëb fondé en 1936 par mon père Pierre Gemayel, et depuis lors principal défenseur de la souveraineté, de l'indépendance libanaise, notamment en 1943 et en 1958, sera de nouveau en première ligne pour préserver les acquis et les valeurs nationaux. Dés les années 60, il se mobilisera contre tous les dangers qui guettent l'entité libanaise aux prix de sangs, de larmes et de sacrifices divers. Mon f'ère, le Président Bachir Gemayel, ainsi que des milliers de martyrs se sacrifieront au service de la cause du Liban. Parmi ces martyrs aussi, mon neveu, le jeune Amine Assouad, dignement représenté dans cette salle par son neveu, Amine Assouad lui aussi. Ce dernier poursuit ici à Paris, aux côtés de ses camarades, le même combat, le même engagement. Moi-même, sur la brèche depuis le début de la guerre, et rescapé par miracle à ses dangers, je reste impliqué aux côtés de mes citoyens au service de cette même cause. Je suis aussi encouragé et ému par ces grandes manifestations nationales multiconfessionnelles, à Beyrouth et partout ailleurs, des manifestations qui clament les mêmes slogans que nous prônons dans le parti Kataëb pendant plus d'un demi siècle, et que certains considéraient alors illusoires.
Durant mon mandat présidentiel de 1982 à 1988, le Liban était sous occupations multiples Je devais lutter alternativement ou simultanément contre l'Olp, l'armée israélienne, l'armée syrienne, les Pasdarans iraniens et une horde d'organisations de diverses tendances fondamentalistes ou idéologiques, toutes prônant la violence politique comme moyen de réaliser leurs objectifs au Liban, dans les pays du Moyen Orient ou ailleurs.
Et ce dont on se plaisait à appeler la guerre civile libanaise n'était en fait qu'une véritable guerre en terre libanaise ou contre le Liban. L'ancien ministre et homme de lettres, Ghassan Tuéini l'a appelé à juste titre " La guerre des autres " .
Dans les années 90, la Syrie prenait le dessus manu militari sur la majorité de ces forces et nous imposait par le feu et le sang sa propre autorité ou plutôt sa dictature.
En 1989, les parlementaires libanais, sous l'égide du Roi Fahd d'Arabie, s'étaient entendus dans la ville saoudienne de Taëf sur un nouveau pacte d'entente nationale dont les principales dispositions seront consignées dans la constitution libanaise elle-même.
Accepté par la majorité de la classe politique qui le considérait comme le moindre mal pour mettre un terme au chaos et un compromis nécessaire pour aider à la réconciliation nationale et rétablir la paix civile, ce pacte ne servira en fait qu'à entériner l'hégémonie de Damas sur le pays et à imposer la pax Syriana qui par définition est anti-démocratie, anti-liberté et anti-raison d'être du Liban.
L'application tendancieuse de la formule de Taëf aura des conséquences dévastatrices sur le système et les institutions du pays :
Loin de réconcilier les libanais entre eux, les rapports entre les diverses communautés et religions n'ont jamais été autant exacerbés.
Les institutions nationales resteront figées. Les présidents de la République désignés et leurs mandats prolongés à Damas. Les gouvernements formés à Damas ; le Parlement élu à partir de lois électorales iniques dont le seul objectif est la mainmise syrienne sur la majorité des parlementaires libanais. La justice, l'armée, et toutes les autres institutions officielles instrumentalisées par les services secrets syriens.
La vie politique sera neutralisée et les directions des partis politiques et des syndicats ouvriers seront imposées de force par ces mêmes services pour servir les objectifs contraires à ceux de ces formations. Le parti Kataëb, les Forces Libanaise, et CGTL, traditionnellement champions de la cause libanaise et de celle de la classe ouvrière, seront les premières victimes de ces pratiques.
Les finances libanaises mises à rude épreuve comme conséquence de la politique du clientélisme et de la corruption érigée en système de gouvernement.
Les libanais n'ont pas abdiqué pour autant. Ils ont continué la lutte pour la libération du territoire nationale, la restauration de la souveraineté libanaise, et la préservation de leurs traditions démocratiques et libérales.
Trois facteurs ont favorisé le déclenchement de l' " Intifada " de l'indépendance et la réalisation des objectifs pour lesquels nous avons combattu des décennies durant.
Ces trois facteurs sont :
1. L'érosion inéluctable de l'autorité et de l'influence syrienne au Liban, après toutes ces années d'occupation et de pratiques contraires à nos intérêts nationaux et à notre culture. De plus, le phénomène du clientélisme fut érigé en système de gouvernement, et la corruption comme instrument pour se constituer une base politique. Le résultat fut catastrophique, d'une part sur la nature de la citoyenneté libanaise aux horizons bloqués et d'autre part, sur l'économie elle-même qui, régulée par la loi de la jungle a généré 40 milliards de dollars de dette publique pour un pays d'à peu près 4 millions d'habitants. Alors qu'à la fin de mon mandat présidentiel en 1988, les réserves en or et devises de la Banque du Liban dépassaient les 5 milliards de dollars pour une dette publique de moins de 800 millions de dollars.
2. La prise de conscience des libanais de la nécessité de reconsolider leur unité nationale et de se solidariser face à tous les défis extérieurs. Ce sentiment national s'est renforcé notamment depuis l'an 2000 avec la libération du sud et le retrait de l'armée israélienne. Des concertations et rassemblements multiconfessionnels prenaient corps pour réclamer la restauration de la souveraineté nationale. La première réunion publique se tenait en 2001 à Beyrouth regroupant plusieurs formation et leaders politiques de tous bords. Cette fronde s'est renforcée en réaction au diktat syrien de reconduire le mandat de l'actuel Président de la république en contravention de la constitution puis s'est déchaînée lors de la tentative d'assassinat de Marwane Hamadé, et a explosé avec l'assassinat du Premier ministre Rafic Hariri. Un homme fédérateur, généreux et respecté de tous. Cet assassinat a déchaîné les passions anti-syriennes, délié les langues, affranchi les masses, surtout en terrain sunnite, et fut l'occasion pour tous les libanais de clamer Haut et Fort leur Ras le bol vis-à-vis de l'occupation syrienne du Liban.
3. Et finalement, La solidarité internationale avec la cause du Liban, notamment, grâce à l'action des Présidents Bush et Chirac qui ont déclenché une action internationale vis-à-vis du Liban. Déjà, depuis la catastrophe du 11 septembre, et la guerre d'Iraq, plusieurs pays du Moyen Orient étaient dans le collimateur des américains et des européens. La dégradation de la situation au Liban a incité les présidents Chirac et Bush à saisir le conseil de sécurité de l'Onu et lui a demandé de se saisir du dossier libanais et de mettre le Pays de cèdres en quelque sorte sous sa tutelle. Deux résolutions essentielles vont hâter le processus de libération du pays :
La 1559, réclame :
- Le retrait de l'armée syrienne et des services de renseignements syriens du Liban.
- Le désarmement de toutes les milices
- Le déploiement exclusif de l'armée libanaise sur tout le territoire libanais
La 1595, qui décide la délégation au Liban d'une commission d'enquête afin de déterminer les responsabilités dans l'assassinat de Rafic Hariri. Pourquoi est-ce que le concert des nations ne se pencherait-il pas aussi un jour, sur la dilapidation et le sac systématique de nos richesses nationales ?
La 1595, qui décide la délégation au Liban d'une commission d'enquête afin de déterminer les responsabilités dans l'assassinat de Rafic Hariri. Pourquoi est-ce que le concert des nations ne se pencherait-il pas aussi un jour, sur la dilapidation et le sac systématique de nos richesses nationales ?
Les libanais et tous les gens de bonne volonté ne peuvent qu'exprimer leur gratitude vis-à-vis de tous ceux qui nous ont aidé à réaliser ce rêve : la souveraineté du Liban et la liberté des libanais.
N'était-ce les efforts directs et soutenus des Présidents Jacques Chirac et George W. Bush, et la solidarité de la communauté internationale, le Liban n'aurait pas pu récupérer son âme, ses droits et sa raison d'être.
N'était-ce les efforts directs et soutenus des Présidents Jacques Chirac et George W. Bush, et la solidarité de la communauté internationale, le Liban n'aurait pas pu récupérer son âme, ses droits et sa raison d'être.
Des années durant, nous avons résisté et milité au service de notre pays, mais comme en France dans les années 40, il nous fallait un Normandie politique pour réussir : Ce fut la résolution 1559 du Conseil de sécurité de l'ONU.
Le 27 avril, le dernier soldat syrien évacuait, pas nécessairement dans l'honneur, le dernier pouce du territoire libanais.
C'est le grand " ouf ! " de tous les libanais.
Au moment où je vous parle, nous sommes au jour J + 7 de la libération du territoire libanais et la restauration de la souveraineté du pays des cèdres.