Gemayel à Londres : Le stratagème impitoyable du gouvernement syrien a permis aux islamistes radicaux de se développer
CONFÉRENCE
OLJ
25/03/2015
« États défaillants, État islamique, État-citoyen : trois réalités de gouvernance dans le monde arabe... » Tel est le thème de la conférence que le leader du parti Kataëb, le président Amine Gemayel, a donnée lundi dernier, 23 mars, à la Chambre des communes, à Londres, à l'initiative de la Henry Jackson Society.
L'ancien chef d'État a dressé un tableau lucide de la situation présente dans le monde arabe. Soulignant que les dures réalités de la région rappellent la définition de Hobbes : une « guerre de tous contre tous », le président Gemayel a relevé que les « crimes commis par les États défaillants et ledit État islamique, ou Isis, nécessitent une réponse militaire des Arabes modérés et de leurs partenaires internationaux ». « Quoique la force militaire doive être utilisée contre Isis à court terme, j'estime qu'à long terme, seul un soutien énergique des droits de l'homme, du pluralisme et de la démocratie telle que pratiquée par les États-citoyens peut stabiliser les sociétés arabes individuelles », a estimé le président Gemayel.
Affirmant que « l'Irak, la Syrie, la Libye et le Yémen sont les cas les plus importants d'États défaillants », le leader des Kataëb a déclaré que « la Syrie est un cas particulièrement frappant de défaillance de l'État parce que le groupe au pouvoir a délibérément organisé la destruction partielle du pays afin de maintenir son contrôle des zones essentielles ». « Le stratagème impitoyable du gouvernement (syrien) a suivi deux voies : d'une part, il a permis aux islamistes radicaux de se développer et de répandre la peur dans tout le pays et, d'autre part, il a systématiquement anéanti les éléments prodémocratie modérés, a précisé le président Gemayel. La stratégie du gouvernement syrien de provoquer la mise en place de conditions de vie terrifiantes à la périphérie afin de valider une emprise fragile sur le centre était typique, vu qu'il fait usage, depuis longtemps, du terrorisme comme instrument de l'art de gouverner. »
Et d'ajouter : « L'examen des perspectives visant à faire passer la Syrie d'un État d'échec à un État de récupération, à un État-citoyen, révèle une évidence : le même groupe au pouvoir qui a détruit la majeure partie du pays pour s'approprier le reste ne devrait pas être autorisé à s'emparer à nouveau du pouvoir. S'il parvient à le faire, cela validerait ses méthodes de massacre en masse, terrorisme, armement chimique et épuration ethnique. »
Réalité de l'« État islamique »
Abordant le cas de l'État islamique (Isis, ou Daech), le président Gemayel a déclaré que « parler de la Syrie comme d'un État en faillite est un prélude approprié pour aborder la réalité dudit "État islamique", car il existe un lien organique entre le comportement du gouvernement syrien et la montée en puissance d'Isis dans de vastes zones de la Syrie et de l'Irak ».
« Isis n'est pas difficile à définir, il se révèle dans le vocabulaire utilisé pour parler de ses opérations : massacres, mutilations, exécutions, décapitations, crucifixions, assassinats, viols, esclavage sexuel et immolations (...). Si la nature d'Isis est évidente et ne nécessite aucune explication, sa logique, si ce mot peut s'appliquer, est également assez simple. Pour Isis, l'alternative aux États défaillants du monde arabe n'est pas un avenir moderne nouveau, mais plutôt le règne de la terreur, confirmé par des justifications pseudo-religieuses. »
Abordant ensuite le chapitre des États-citoyens, le leader des Kataëb a évoqué les cas du Liban, de la Tunisie et de la Jordanie sur ce plan, déclarant, notamment, en ce qui concerne le Liban : « Mon propre pays peut être décrit comme un État-citoyen, quoique soumis à des conditions de siège (...). Le Liban en tant qu'idée, en tant que concept de tolérance, a une signification plus large au Moyen-Orient en ce qu'il est le seul État arabe fondé sur le principe de l'inclusion et de la conciliation de toutes les communautés (...) Pour ceux qui doutent que le Liban était, ou peut être à nouveau, un véritable État-citoyen, une preuve puissante a été apportée par la révolution du Cèdre de 2005. »
Crise de confiance dans la démocratie
Et le président Gemayel de poursuivre : « Malgré les cauchemars jumeaux qu'ils sont devenus, la Syrie et l'Irak offrent des preuves solides que des systèmes démocratiques, ou du moins pluralistes, sociaux et politiques, peuvent être établis dans la région. À cet égard, nous devons revenir en mémoire à la Syrie d'avant la guerre civile. À cette époque, et pendant plus de six mois, les seules "armes" déployées par l'opposition syrienne contre son gouvernement dictatorial et de plus en plus meurtrier étaient des chants de liberté et des manifestations pacifiques en faveur des droits humains universels. »
« Cet exemple de la Syrie est une preuve-clé que le confessionnalisme radical et violent n'est pas l'option préférée des peuples arabes qui luttent contre l'oppression étatique, a ajouté M. Gemayel. Ce sont les gouvernements dictatoriaux, et non les peuples, qui ont déclenché des vagues de violence et de destruction (...). Un facteur qui a exacerbé le conflit en Syrie, en Irak, en Libye, au Yémen et dans d'autres pays a été le désengagement relatif des grandes démocraties. »
« Cette passivité à la Chamberlain est particulièrement flagrante lorsqu'on compare le soutien profond et constant de la Russie et de l'Iran au gouvernement d'Assad avec l'approche plus ou moins détachée des États-Unis, de la Grande-Bretagne et de la France envers la Syrie, sauf en ce qui concerne l'action visant à contenir Isis, a souligné le leader des Kataëb. Parlant de la scène européenne qui s'assombrissait à la fin de 1934, près de deux ans après l'arrivée d'Hitler au pouvoir en Allemagne, un diplomate français de haut rang a déploré que "la loi des gangsters s'est imposée partout" et que "les brigands ont plus d'énergie que les honnêtes gens". L'écho de ce commentaire décourageant s'applique de manière inquiétante au Moyen-Orient d'aujourd'hui, et témoigne d'une "crise de confiance" plus large qui empêche les grandes démocraties de poursuivre des politiques robustes.
« Encore plus troublant, cette crise de confiance semble avoir gravement compromis la confiance dans la démocratie elle-même, dans son applicabilité universelle. »